Le communiqué de
la réunion de l’ECOFIN (28 novembre), sensé rassurer les marchés à la veille
d’une reprise des échanges, aura – au mieux – un effet « réflexe »
éphémère, après trois semaines de secousses dans les marchés obligataires,
d’actions et de change.
Examinons
successivement les questions relatives au programme de sauvetage de l’Irlande
et le « Mécanisme Européen Permanent de Stabilisation ».
Le Paquet irlandais :
Du montant global
d’ €85Milliards, €17, 5M seront apportés par l’Irlande elle-même (ponction sur
le fonds de réserve pour les retraites). Le complément sera fourni à parts
égales (€22, 5M) par le FMI, le MESF (Mécanisme Européen de Stabilisation
Financière, facilité bénéficiant de la garantie du budget Communautaire) et
conjointement par le FESF (Fond Européen de Stabilité Financière, facilité
bénéficiant de la garantie parallèle des pays de l’UEM), la Grande-Bretagne, la
Suède et le Danemark.
Du montant de
€10M mis à disposition immédiatement pour recapitaliser les banques
irlandaises, 5M seront fournis par l’Irlande, 1, 67M respectivement par le FMI
et le MESF et le solde par les quatre autres prêteurs.
Alors qu’on peut
anticiper que les prêts par les 3 pays non membres de l’UEM se concrétiseront
par des prêts bilatéraux levés sur leurs ressources propres, le FESF sera
appelé à faire un premier appel au marché pour un montant entre €1 et 1,5M.
Cette première
émission du FESF sera suivie avec beaucoup d’attention sous différents
angles : en particulier, elle établira le cadre pour de futures émissions
dans des circonstances qui sont, hélas, loin d’être idéales.
a) Le montant réduit de l’émission limitera
sa liquidité dans le marché secondaire ce qui devrait induire une
« prime » qui pourrait s’avérer difficile à réduire par la suite.
Elle établira aussi le niveau des « primes de risque » en comparaison
avec d’autres émissions d’emprunts souverains européens (Bunds, OAT, OLO, etc.)
et d’autres émetteurs bénéficiant d’une garantie communautaire (CE et BEI). La
complexité du mécanisme du FESF pourrait créer une certaine confusion et
induire des coûts plus élevés qu’envisagé.
b) Le Contrat Cadre du FESF décrit avec
précision le mécanisme de « garanties parallèles », rehaussé de
manière à fournir une garantie AAA aux obligataires (du moins aussi longtemps
que le montant total emprunté ne dépasse pas une fraction du montant théorique
disponible). Les garants ainsi que les investisseurs potentiels scruteront en
détail la hiérarchie du prêt accordé à l’Irlande par le FESF en regard des
conditions de prêts du FMI (privilégié), du MESF et des prêts bilatéraux.
c) On doit garder à l’esprit, que dans la
mesure où le FESF serait une nouvelle fois appelé à apporter son soutien à un
autre pays membre de l’UEM (Portugal/Espagne), la structure du mécanisme de
garantie se trouverait chaque fois altérée car le pays « demandeur »
ne participe plus au mécanisme des émissions ultérieures à sa requête, ce qui
diminue le montant disponible du Fonds. Cette « instabilité » du
mécanisme de garantie doit conduire dans le temps à une remise en question de
la notation AAA du Fonds (à moins de rehaussements compensatoires) et risque
d’influencer négativement la distribution de ses émissions qui seront par
définition « non fongibles ».
d) La controverse publique concernant la
taille du FESF, entre ceux qui, à l’instar d’Axel Weber de la BCE, préconisent
son doublement immédiat, et ceux, tels le Président de l’Eurogroupe Jean-Claude
Junker ou le Président Barroso qui estiment que son montant est suffisant pour
rencontrer toute demande prévisible, ajoutent à l’incertitude qui secoue les
marchés.
En conclusion, la
taille du paquet irlandais est, sans doute, adéquate pour rencontrer ses
besoins à court et moyen terme de (re)financement. Cependant, il ne faut pas
oublier que dans l’esprit de ses concepteurs, le FESF était sensé ne jamais être activé, l’espoir étant que
sa taille considérable serait suffisante pour dissuader le marché d’attaquer
inconsidérément les émetteurs souverains. Ces espoirs ont été déçus et,
simultanément, les faiblesses structurelles du système se révèlent au grand
jour. C’est la raison pour laquelle la nécessité de mettre en place un
mécanisme permanent, comme il en sera question ci-après, est devenue la préoccupation
principale des autorités responsables.
Le Mécanisme Permanent Européen de Stabilisation:
Il est
particulièrement incompréhensible que les Ministres de Finances puissent proclamer, à l’issue de la réunion de l’ECOFIN
du 28 novembre, qu’ils ont fait des « progrès
décisifs » dans l’élaboration d’un mécanisme permanent de
stabilisation financière. Une telle déclaration, que l’on peut qualifier
d’ « irresponsable », sera
immanquablement testée par les marchés, à mesure que les investisseurs deviendront
encore plus méfiants à l’égard des émetteurs souverains de l’Eurozone.
Une première
« contradiction » dans les
termes utilisés, réside dans la nature même d’un « mécanisme »
qui implique, par définition, un cadre spécifique et l’affirmation concomitante
que chaque situation requérant une intervention sera jugée au « cas par
cas ». En sport cela s’appelle « botter
le ballon en touche » !
Un autre sujet
d’incertitudes a trait à la participation du secteur « privé » aux
restructurations qui est sensée être limitée au cas
d’ « insolvabilité » d’une part et ne s’appliquer qu’à des
titres émis après le 30 juin 2013 de l’autre. Ceci crée une nouvelle série
d’ambiguïtés :
La première
concerne la détermination d’une crise d’ « insolvabilité » par
rapport à une crise de « liquidités ». On pourrait prétendre qu’un
Etat reste solvable tant qu’il lui reste des actifs réalisables (voir sur ce
point les conditions imposées aux Länder allemands en cas de recours au
Gouvernement Fédéral décrit dans les récentes propositions de l’Institut
Bruegel concernant un Mécanisme Européen de Résolution de Crise).
La deuxième a
trait à la définition de « secteur privé » qui, dépendant du
contexte, est parfois utilisée par les Autorités dans un sens limitatif
(s’appliquant seulement aux banques et gestionnaires de fonds communs de
placement) ou, au contraire plus large, visant l’ensemble des obligataires qui
ont acquis des titres couverts par des « Clauses d’Action Collective
(CAC), supposées devenir obligatoires pour les émissions postérieures au 30
juin 2013.
S’il est vrai que
des CACs facilitent le processus de renégociation avec un ensemble défini
d’obligataires, elles ne résolvent en rien la question du traitement
« pari passu » de tous les obligataires détenant des titres de
créance de même rang ni la question de l’accélération de l’ensemble de la dette
d’un émetteur en cas de faillite. Les CACs ne réduisent pas non plus
significativement le risque d’attaques contre un émetteur, une fois le
spéculateur provoqué par l’ « odeur du sang ».
Il doit être
clair que si, dans le cadre de la négociation de CACs, ont veut prévoir un
traitement différencié entre des
détenteurs d’ « anciennes » et de « nouvelles »
obligations, toute émission ultérieure à 2013 qui contiendrait de telles
clauses exigerait un escompte substantiel par rapport aux émissions existantes
ce qui augmenterait de manière significative le coût du (re)financement, le
rendant, le cas échéant, impossible. L’introduction de ces clauses
contribuerait donc à favoriser l’insolvabilité qu’on cherche précisément à
éviter. L’annonce d’une telle intention aurait d’ailleurs des conséquences
immédiates sur l’appréciation par le marché de la dette en cours. Ce serait
l’équivalent de l’annonce, avec un préavis de trois ans, d’une
dévaluation ! Ce n’est donc pas étonnant que les marchés ne sont pas
satisfaits par le communiqué de l’ECOFIN.
Si, d’autre part,
l’intention était d’introduire, à partir de 2013 des clauses
« standards » de CACs, leur effet pratique ne se ferait sentir qu’à
partir du moment où la plupart des émissions non couvertes par des CACs
auraient été remboursées. Cette option n’apporterait guère de réconfort aux
investisseurs « privés » en ce qui concerne les problèmes induits par
la crise tant financière que de la dette publique.
En plus des
éléments mentionnés ci-dessus, ces propositions aussi vagues qu’ambiguës ne
traitent pas du problème de fond causé par le cercle incestueux et vicieux issu
de l’interdépendance systémique des émetteurs de dette souveraine et du secteur
bancaire qui, comme le cas irlandais le démontre, ont besoin l’un de l’autre
pour survivre.
Si l’on impose
aux banques de participer aux affres d’une restructuration de la dette
publique, il s’ensuivra que leur propension à investir dans de tels titres sera
très significativement réduite. Où, dans de telles circonstances, les Etats
trouveront-ils des investisseurs et quel surcoût devront-ils être prêts à
consentir, en particulier les plus faibles d’entre eux ? Les Gouvernements
des pays « sains », seront-ils amenés à secourir leurs banques
lorsque celles-ci courent des risques
élevés par rapport à d’autres émetteurs souverains ? S’il devait y avoir
le moindre doute à ce sujet, les possibilités de (re)financement des Membres
les plus vulnérables seraient encore plus restreintes et onéreuses.
On peut aussi se
poser la question de savoir quelle sera la crédibilité des systèmes
garantissant les dépôts si les banques ne peuvent plus avoir confiance dans les
Gouvernements qui « assurent » leurs déposants. ? Si cette
question venait à se poser, elle créerait immédiatement les conditions d’un
retrait de leurs avoirs par les clients de toute banque qui aurait un risque
jugé excessif par rapport aux émetteurs d’emprunts souverains (c'est-à-dire la
plupart d’entre elles). Il faut rappeler ici que la porte de sortie par la
« planche à billet » et/ou la « dévaluation » n’est pas
accessible aux pays Membres de l’UEM.
Une mutualisation
à l’échelle de l’UE des systèmes de garantie des dépôts pourrait répondre en
partie à ce problème. Cependant, peut-on compter sur une telle démonstration de
solidarité de la part de l’Allemagne, alors qu’elle a opposé une fin
catégorique de non recevoir à l’octroi d’une garantie » solidaire »
au FESF ?
Conclusion :
Alors que je ne
fais qu’achever d’écrire ces lignes, les marchés ont déjà inversé leur
appréciation, initialement positive, des annonces du weekend, confirmant mes
craintes, plus rapidement encore que je
ne l’aurais imaginé.
La crise
irlandaise étant provisoirement contenue, les autorités devraient – au minimum
- s’imposer un embargo total sur des déclarations – trop souvent -
contradictoires jusqu’à ce que (dans un
avenir aussi rapproché que possible) un accord global, détaillé et cohérent
puisse être conclu. La prétention de certains dirigeants, parmi les pays
relativement moins exposés de l’UEM (France et Belgique notamment), à proclamer
qu’ils sont à l’abri des turbulences du marché, est dénuée de tout fondement
étant donné la contradiction patente avec l’insistance sur la nécessité de
mesures d’assainissement budgétaires draconiennes. Ainsi, au lieu de rassurer,
ils nourrissent l’inquiétude.
Il devrait être
clair pour tous qu’au cas où la pérennité de l’UEM elle-même serait mise en
cause, il n’y aura pas de gagnants. Tous seront grands perdants, en ce compris
la puissante Allemagne.
Bruxelles, le 29
novembre 2010
Paul N.
Goldschmidt
Directeur, Commission Européenne (e.r.) ;
Membre de l’Institut Thomas More.
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